Une histoire de famille, les Balardi, rois de la poutargue bastiaise
Tout commence par une histoire d’amour entre une sarde et un corse, tous deux passionnés de restauration. Lui, le bastiais, footballeur en Sardaigne et elle, restauratrice. Coup de foudre. Trois garçons plus tard, la famille renoue avec une tradition corse mise de côté, la poutargue. Autrefois, en Corse, les familles de pêcheurs fabriquaient la poutargue quelques mois dans l’année, de fin août jusqu’à fin septembre. Les grands étangs permettaient de travailler le mulet. La poutargue avait quasiment disparu du paysage. Cela leur donne une idée et la Maison De La Bottarga voit le jour en 2019. Aux commandes, Marinella et Joseph ainsi que Séraphin, Frédérico et Matia, leurs fils, qui s’impliquent depuis leurs 16 ans dans toutes les facettes de l’entreprise. L’apprentissage de ce savoir-faire, Marinella et Joseph ne sont pas allés le chercher loin. Issue d’une famille de pêcheurs, Marinella a été formée à tous les secrets de fabrication auprès de ses cousins, conchyliculteurs et fabricants de poutargue, de la région d’Artabax, en Sardaigne. À leurs débuts, ils tenaient une petite boutique sur la place du marché à Bastia, lieu de rencontre des vieilles familles, le samedi et le dimanche. Le bouche à oreille a fait son œuvre jusqu’à l’ouverture de l’atelier et des deux restaurants. Ils ne pouvaient pas s’arrêter à un atelier. Fous de restauration, ils imaginent alors deux lieux alliant la vente et la dégustation de plats simples et efficaces à base de leur production de poutargue. « Une tradition qui était presque éteinte en Corse et c’était dommage ! Ici, il n’y avait qu’une façon de la manger alors qu’en Sardaigne, on la déguste, toute l’année, de nombreuses manières. Elle peut être mélangée à des pâtes, des légumes comme les artichauts, les asperges ou les courgettes. En revanche, les corses en mangeaient tous les jours. L’idée du restaurant s’est vite imposée pour montrer toutes les différentes façons de la cuisiner », explique Marinella.
L’atelier de fabrication
À côté du restaurant d’origine, la maison de la Bottarga à Furiani, a été monté un atelier de fabrication. Le circuit est ultra court et les produits frais sortent quotidiennement pour satisfaire les cuisines. Son point d’orgue : le fumoir. Le bois de hêtre et les herbes du maquis : népita, fenouil, laurier, thym, bios et issues de la récolte de monsieur Orsi, parfument le thon, l’espadon, le saumon et l’anguille. Tous ces poissons viennent des différentes criées de la Méditerranée. Joseph a son réseau de pêcheurs, il parcourt l’Europe chaque semaine pour choisir lui-même, poissons et œufs de mulet. « Il faut savoir reconnaître la bonne poche. Le mulet étant un poisson migrateur, nous suivons donc sa migration en l’achetant à Sète, en Espagne, en Italie, en Sicile, en Sardaigne, en Tunisie et même en Grèce. Ainsi, les œufs de mulet peuvent être transformés et dégustés toute l’année. En Corse, il est pêché avant de rentrer dans l’étang de Biguglia », raconte Joseph, son téléphone qui ne cesse de sonner, vissé à la main. Autres spécialités produites dans l’atelier, les moules farcies de l’étang de Diana avec un beurre à la poutargue et saupoudrées de poutargue râpée ou le carpaccio de poulpe mariné à servir braisé ou en salade.
Le travail de la poutargue
Le principe est simple, il y a peu de quantité et tout ce qui est fabriqué est aussitôt dégusté frais. Les œufs de mulet sont pressés et séchés. La poutargue est quant à elle salée, rincée et séchée sur des planches en bois et dans des filets. Elle demande une attention particulière, elle doit être tournée entre 7 et 8 fois par jour avant d’être affinée dans le noir et sans humidité, 4 à 10 jours selon les conditions météorologiques. Quand sa texture devient ferme, la poutargue est prête. Elle est mise sous vide et stockée au frigo avec une DLC de 6 mois.
La poutargue, un bonheur gustatif et sain !
Le goût est variable « tout dépend de ce que mange le poisson et où il est pêché. Dans l’étang, le goût est plus fort. Notre maturation est assez douce », explique Marinella. À déguster en tranches ou râpée, la poutargue, mets favori des pêcheurs, simplement accompagnée d’un morceau de pain, est savoureuse et énergétique. Elle ouvre ses parfums iodés tout en fondant en bouche. Pain, pâtes, œufs sont sublimés par elle. Pour attiser ses papilles et s’habituer en douceur, le cœur de poutargue, produit phare de la maison, est à découvrir. C’est la meilleure partie de la poutargue ! Finement hachée et baignant dans une infusion à base d’huile, c’est un vrai régal à servir sur une tranche de pain croustillante légèrement beurrée ou comme base de sauce pour les pâtes ! Ensuite, on se laisse tenter par des linguines parfaitement al dente à la poutargue et aux palourdes le tout arrosé d’un verre de vin blanc frais, minéral et léger. Puissante sans être trop envahissante, la poutargue explose alors en bouche. Elle enrobe, juste ce qu’il faut, le palais. C’est un véritable « goût de cœur ». La poutargue est non seulement un mets à la saveur incomparable mais elle est dotée de nombreux bienfaits pour le corps, protéines, omégas 3 et autres supers pouvoirs ! Marinella le confirme : « on a découvert que la poutargue servait de fortifiant. Les personnes âgées en donnaient aux enfants quand ils étaient malades. »
Deux spots où se régaler
Au sud de Bastia, à Furiani, la Maison De La Bottarga est incontournable. La table de l’atelier ressemble à une cabane de pêcheurs avec des canisses au plafond, du teck, de jolis fauteuils en velours, le tout créant une ambiance chaleureuse. À l’extérieur, une petite terrasse ombragée avec des essences méditerranéennes, des oliviers, des tables en bois et un coin grillades accueillent chaleureusement les visiteurs. Avec son point de vente, les habitués, fins connaisseurs, viennent y déjeuner ou acheter les produits tout juste sortis de l’atelier, à quelques mètres. Le chef italien Daniele joue avec grâce en cuisine la mélodie de la poutargue déclinée avec des pâtes fraiches, en salade... Il la connaissait mais ne la travaillait pas de cette façon. Il a appris auprès de Marinella et collabore avec elle pour l’élaboration des recettes. Ce qu’il aime particulièrement ? Travailler en circuit court grâce à la proximité de la production et aux quantités auxquelles il a accès. Il rajoute de l’huile d’olive, la mixe et la laisse reposer. Puis, il fait cuire des linguines mais aussi des artichauts ou des courgettes et les fait revenir avec la crème de poutargue et l’eau de cuisson. Une autre spécialité à tomber, la burrata saupoudrée de poutargue.
Avec l’adresse La bistronomie, quai des Martyrs, c’est un retour aux sources pour la famille Balardi. C’est sur le quai des Martyrs qu’ils ont vendu leur première poutargue. Ils y ont maintenant un restaurant de 70 couverts avec une grande terrasse face à la mer. La salle et la terrasse rappellent l’intérieur d’un navire, élégantes avec un plancher en bois, de belles nappes blanches et un service impeccable. Une barque sert de présentoir pour les poissons et les huitres de Diana. Dans un aquarium, on peut choisir sa langouste. De la terrasse on assiste à la ronde des ferrys qui prennent le large, spectacle fascinant et, en ligne de mire, les îles d’Elbe et de Capraia. La vie est belle dans la nuit bastiaise.
Outre ces deux lieux, la famille a des tas de projets en tête. « On continue de grandir, il nous reste encore tant de choses à faire. On avance pas à pas », souligne Frederico, le cadet. Bientôt, une box-apéritif avec la fameuse bière locale, Pietra, de la poutargue finement tranchée et des gressins seront disponibles dans tous les hôtels de Corse. Un avant-goût des trésors culinaires corses. Quelle sacrée aventure !